Bien que les mannequins asiatiques sont toujours plus recherchés par les stylistes et les grandes agences publicitaires comme égéries pour les marques, ce n’est pas facile d’être un AMM, un Asian Male Model. Avec une taille minimum d’1 mètre 83 et l’adhérence à de rigides canons de beauté physiques de raffinement et de perfection, la compétition est dure avec les collègues internationaux. Mais quand un AMM est sélectionné, c’est justement grâce à ses caractéristiques orientales marquées: yeux doux en amande, traits du visage délicats et féminins, corps sec et longiligne, élégance sobre et zen.
Le paradoxe culturel à la base des AMM est qu’ils sont considérés comme une qualité nécessaire dans l’industrie de la mode – mais ils ne sont pas autant appréciés dans leur propre pays où le modèle occidental s’est imposé comme stéréotype de la beauté socialement acceptable. C’est absurde, mais les jeunes mannequins nippons, engagés pour les papiers glacés de nos magazines de mode, ne sont, dans leur pays, que de simples jeunes hommes avec les yeux un peu trop ronds et aux traits un peu européens. Un non-sens qui contient tout le charme de deux cultures si différentes – celle orientale et celle occidentale – qui se trouvent de plus en plus face à face.
- H.Asahina for Hermes SS15/ D.Ueda for Dolce&Gabbana FW13/R.Yamada for Demaeulemeester SS14POINT DE VUE WAKAPEDIA
En janvier et en juillet, dans les 4 principales capitales de la mode, NY – Londres – Milan et Paris, pour une semaine, je suis au paradis: entourée par les hommes les plus beaux, tous réunis dans un même endroit et courant d’un casting à l’autre. Un mélange de testosterone et de beauté pour un effet stupéfiant…Au contraire, en mars et en septembre pour la fashion weekfemme…l’horreur! Avec toutes ces grandes blondes hyper maigres et super parfaites de partout, paranoïas et recours aux antidépresseur obligatoires!
Ceci étant dit, je n’aurais jamais pensé qu’un jour je me serais retrouvée à faire la baby-sitter de mannequin. Tout a commencé par l’appel de mon meilleur ami Ash qui m’a demandé de prendre soin de son ami japonais qui arrive à Milan pour ses premiers castings. A notre première rencontre, ce jeune homme était perdu à cause du décalage horaire, de cette langue inconnue, déboussolé par l’arnaque du taxi à peine sorti de l’aéroport… J’avais de la tendresse pour lui, avec son air de jeune samouraï qui a perdu son chemin.
Ce garçon ne comprenait pas un mot d’italien ni d’anglais mais pendant son entretien (I Love Model MGMT) avec la directrice Patrizia, il acquiesçait et souriait comme un pingouin de Madagascar. Il m’implorait de l’accompagner pour faire la traduction. Ce jeune homme était Ueda Daisuke et il est maintenant l’un des modèles les plus demandés au monde. Je me rappelle encore quand j’ai vu mon ami Taikidéfiler pour Rick Owens, après plusieurs années de tentatives: je me suis sentie comme une maman au récital de son enfant. J’ai donc décidé de dédier cette interview à tous les modèles japonais qui se donnent au maximum pour faire leur place dans le monde de la mode en Europe.
L’interview a lieu lors de la traditionnelle fête post-fashion week que les mannequins organisent pour célébrer la fin d’une semaine intense de travail (ce préambule est une allusion voilée à quelques réponses bizarres du à un taux d’alcoolémie légèrement haut, ndr)
Sara Waka:Salut les garçons, voici enfin le moment tant attendu de l’interview. Mmm, par quoi allons nous commencer selon vous?
Les tops en choeur: Qu’est-ce qu’on en sait? C’est toi qui a voulu nous interviewer, trouve les questions!(Et ils n’ont pas tout à fait tord ces jeunes hommes, ndr)
Sara Waka: Vous avez raison. Qui veut commencer en me racontant ce que signifie pour lui être mannequin?
Daisuke: Je peux commencer… Pour beaucoup de gens, être mannequin c’est un super job, rempli de fêtes et plaisirs, mais en réalité cet aspect n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le défilé, par exemple, ne dure que quelques minutes. Une parenthèse très brève de gloire et de célébrité précédée d’heures et d’heures d’attente en file indienne dans le froid derrière les rideaux, de mois à la salle de sport, de régimes strictes, de grosses renonciations… jamais de bières fraiches et edamamel’été, par exemple. (Oh le pauvre, quelle torture! ndr). Cela demande beaucoup de self-controle. Nous sommes un peuple très rigoureux avec un grand sens du sacrifice, donc tout ceci n’est pas trop pesant pour moi. Ces quelques moments de gloire et d’admiration sur le podium sont une vraie drogue pour moi!
Uematsu: Etre top modèle est considéré comme un métier sans stress. En réalité c’est faux, la compétition est dure, le travail va et vient et cette précarité ne permet pas d’avoir une stabilité économique ou géographique. Il y a tellement de beaux et grands mecs partout dans le monde, mais pour être mannequin il faut avoir quelque chose en plus dans l’attitude.
Yoshiaki: Un autre aspect important dans notre travail c’est d’être conscient que l’engagement et l’instinct ne suffisent pas. Dans le monde de la mode la chance a un rôle très important… être au bon casting au bon moment, rassembler tous les critères pour une certaine collection. C’est comme ça aussi pour les collections des grandes marques: la qualité ou savoir deviner les tendances ne suffisent pas. Il y a toujours une certaine fatalité qui pèse et c’est cela qui me fascine dans la mode, cette façon d’être impénétrable.
Sara Waka: Observations intéressantes, vraiment. Mais les garçons, une fois votre carrière de mannequin finie, vous savez déjà ce que vous voulez faire?
Les mannequins en choeur: Buuuuuu, ça c’est une question tabou que tu ne dois absolument pas faire à un mannequin!
Asahina: (avec un ton un peu mélancolique) Peut-être que ça me plairait de rentrer chez moi à Nagoya.
Robbie: Ah!! J’y suis!! Pour moi faire le mannequin c’est comme être à Disneyland.
Sara Waka: …eh??
Robbie: Oui, parce que le monde de la mode c’est comme un univers de paillettes qui t’engloutit comme dans une dimension magique pleine de fantaisie (et voilà! les japonais et leur fixette sur Disneyland, ndr).
Mikawai: Oui je suis d’accord. On se sent comme à Disneyland et c’est pour cela qu’on n’arrive pas à penser au futur, à l’après. C’est comme si on ne voulait pas descendre du manège, on ne veut pas penser que ça va finir. Pour nous les modèles japonais, les débuts en Europe c’est comme un rêve collectif. Une fois que le rêve s’est réalisé et que tu as passé le moment d’euphorie et d’enthousiasme, faire le mannequin devient la routine.
Sara Waka: Hé les garçons, je vous crois mais vous ne pouvez pas faire Peter Pan toute votre vie. …
Taiki: Dans le monde de la monde il n’y a pas vraiment de règles exactes sur « savoir se vendre ». S’il existait une liste de choses à faire pour percer dans le milieu, tout le monde deviendrait de grands top modèles, mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. C’est pour cela que je me sens souvent perdu. Je crois qu’au fond le secret pour être un modèle de bon niveau c’est de continuer à essayer et croire en soi (Dis le sage japonais, ndr)
Sara Waka: Bravo Taiki, bien dit!
Merci les gars! Comme le veut le rituel, c’est le moment du bisou de conclusion.
(Mmm, se profile un scénario parfait pour un Asian gangbang! ndr)
Les mannequins en choeur: Nooooon, on ne veut pas,buuuu!
Sara Waka: Mais vous êtes méchants!!!
(Etvoilà, adieu le film érotique du siècle, ndr)
Sara Waka: Alors, quel conseil donneriez-vous à tous les jeunes garçons qui souhaitent devenir mannequin comme vous?
Les mannequins en choeur: Keep on dreaming!
Description & Intervuew : Sara Waka
Edited by: Federica Forte